Show don’t tell, mon amour (et mon bourreau)

Par Valéry K. Baran.

Dans les plus beaux compliments que je reçois parfois sur mes écrits, il y a en fait souvent les mêmes, qui sont donc mes points forts, je pense, et c’est paradoxalement exactement sur deux d’entre eux que je reçois aussi parfois des critiques :

  1. L’originalité,

  2. Le show don’t tell.

J’en parle mais je ne pense pas que les lecteurs pointant ce qu’ils ont pu adorer ou ce qui a pu les déranger se rendent toujours compte qu’il s’agit de ça, en fait, mais c’est pourtant exactement ce qu’il se passe.

Puisque j’ai choisi de parler ici du Show dont’ tell (mon amour…), je vais avoir par exemple des compliments absolument fabuleux sur la manière dont les sentiments des personnages ont pu être montrés de par leurs actes uniquement dans une histoire, le traitement sous-entendu d’un sujet, tout ce qui n’est pas verbalisé mais laissé à la compréhension des lecteurs… Mes personnages ne se disent pas « je t’aime », ils ne s’appellent pas « mon amour », ils ne se disent pas qu’ils ne peuvent plus respirer l’un sans l’autre… Pour moi, ces mots, s’ils ne sont pas soutenus par le fait de voir, vraiment, les personnages éprouver ces sentiments, et non pas seulement les dire, sont sans sens : du collé-plaqué sur une histoire dans laquelle ils ne s’intègrent pas. Je n’ai pas besoin qu’on me « dise », en tant que lectrice ; je veux « voir ». Donc mes personnages ne se le disent pas ; je veille par contre à le montrer.

En parallèle, mes histoires se prennent parfois des critiques (ça arrive, bien sûr : c’est normal) comme quoi il n’y aurait que du sexe, que les sentiments seraient inexistants, que mes personnages ne communiqueraient pas ou que j’aurais juste écrit une scène dérangeante… Voilà ce qu’il m’est déjà arrivé de voir. OK. Donc : le lecteur ne l’a pas vu. C’est là tout ce qu’il faut dire, et je vais intégrer moi la notion en tant qu’auteur en cherchant comment je peux faire en sorte de montrer ce que je veux encore mieux. Cependant, c’est le revers inévitable du show don’t tell, en fait et je ne pense pas qu’on puisse arriver à un 100% : ça ne marche jamais avec tout le monde, c’est comme ça. Jamais je ne changerai pour autant : j’essayerai juste de faire encore mieux la prochaine fois tout en sachant qu’il pourra toujours y avoir un lecteur chez qui ça ne marchera pas, et puis voilà.

En discutant récemment avec Petiteaurel pour son interview sur The Lovely Teacher addictions, je lui disais d’ailleurs que, même si ce n’est pas quelque chose que je revendique parce que, pour moi, l’écriture n’est pas se poser en moralisatrice ou donneuse de leçons, il y a en fait toujours des messages dans mes histoires. Mais c’est toujours très sous-entendu : aux lecteurs de le voir ou non, tout simplement. Et c’est en discutant avec Louise Manet de ma nouvelle Un corps qui danse – et elle a absolument tout vu, c’est formidable – que j’ai pensé que, parfois, ça pourrait être intéressant de mettre en lumière certains de ces sujets sous-entendus présents dans mes écrits.

Prenons pour exemple Un Corps qui danse

Un corps qui danse - Valéry K. Baran

J’ai eu vraiment des retours mais extraordinaires sur cette nouvelle, et puis très récemment un avis très négatif sur une plateforme de vente, parlant de « attraction purement et simplement sexuelle » et de scène lui ayant « particulièrement déplu (…) par son côté voyeur ».

Eh bien : OK ! Alors je précise tout de suite, que le contraire ne risque pas d’être imaginé, que je lis toujours avec intérêt les avis que peuvent recevoir mes écrits et que je les respecte toujours tous, quels qu’ils soient (ma seule limite serait des insultes directement dirigées contre ma personne mais je n’ai jamais été exposée à ça). Je comprends en tout cas tout à fait que la scène en question ait pu déranger la lectrice puisqu’il s’agit effectivement d’une scène de voyeurisme (mais elle est plus que ça) et l’attraction entre les personnages n’est pas du tout que purement sexuelle, mais la lectrice ne l’a pas perçu. OK aussi. Le texte de cette nouvelle étant vraiment court, il y a beaucoup d’éléments qui sont sous-entendus ou suggérés et je comprends sans souci que tous ne puissent pas être perçus par tous les lecteurs (ou perçus « à un moment donné », aussi : on n’a pas forcément les mêmes ressentis sur nos lectures suivant le moment où on les lit, l’état d’esprit ou de fatigue dans lequel on est, sa propre disponibilité, son évolution en tant que lecteur, etc.).

Et, en parallèle, et c’est là que c’est assez amusant, j’ai eu ma collègue des éditions Harlequin Louise Manet, donc, qui m’a envoyé un message pour me dire, elle, qu’elle avait lu cette histoire et qu’elle avait particulièrement aimé cette scène-là justement (comme la plupart des autres lecteurs qui ont eu un coup de cœur pour cette histoire, en fait, et c’est aussi ma préférée) non pas parce qu’elle n’a pas vu le côté voyeur, qui est présent, c’est clair, mais parce qu’elle a perçu ce qu’il y avait derrière. Voici notamment ce qu’elle m’a écrit :

Mon passage préféré : [je coupe pour ne pas spoiler]. Pourquoi ? Parce qu’honnêtement, cette scène m’a dérangée. J’y ai vu plus qu’un simple jeu sensuel. J’y ai vu un rapport de domination et de soumission, j’y ai vu un parallèle entre sa condition de jeune issu des favelas soumis au regard de cette femme indépendante, à la vie aisée. La fuite de Liz une fois sa curiosité assouvie mêlée à sa peur de cette attraction explosive, le ressenti tourmenté de Flavio après ce qu’il vient de se passer. J’y ai vu une lutte de pouvoir.

Et c’est exactement ça : le personnage masculin est un très jeune homme issu d’un milieu très défavorisé, à qui une chance inouïe de sortir de sa misère a été proposée quand il était encore enfant et, du coup, qui a appris à se donner entièrement et sans réserves à ce qui lui est demandé, et c’est encore ce qu’il est quand il rencontre le personnage féminin de cette histoire. On voit d’ailleurs les regards des autres danseurs de la troupe sur leur premier échange et on est en droit de penser que ce n’est pas la première fois qu’il suscite un tel attrait et, pourquoi pas, même, d’imaginer ce qui a pu se passer d’autre auparavant. Ce jeu de pouvoirs, d’exigences et de dons, est en tout cas ce qu’il va se passer avec Liz : elle, femme habituée à vivre de sa passion, comme lui, mais de manière différente car totalement indépendante, sans problèmes de milieu d’origine ou d’expatriation, et qui se laisse aller, à cause de la fascination qu’il exerce sur elle, à lui demander « trop ». C’est un comportement égoïste, d’ailleurs, et elle en est consciente, parce qu’elle voit ce que le personnage masculin est, d’où sa culpabilité. Et lui, habitué à se donner : à la danse, à sa passion, à ce qui lui est demandé, même trop, et qui se donne donc à l’extrême, même si, dans cette scène, il le provoque aussi lui-même. D’où le malaise des personnages suite à cette scène. J’ai eu quelques critiques – justifiées – d’avoir écrit ensuite une scène de sexe plus conventionnelle, mais je voulais redonner le pouvoir à ce personnage masculin : dire que, voilà, lui aussi est conscient du décalage entre eux, mais qu’il veut quand même le personnage féminin.

 

Pour ce qui est du Show don’t tell, je peux vraiment dire que je suis une fana de ce mode d’écriture, en fait : pour moi, ça appartient au B.A. BA de l’écriture et rien ne me plait plus que d’offrir des pistes et des clefs aux lecteurs et de les laisser se les approprier. Et c’est vrai aussi en tant que lectrice. J’ai un souvenir très fort de ma lecture d’un manga absolument extraordinaire, que je vous recommande très fortement si vous ne l’avez jamais lu : Vagabond, de Takehito Inoue, et en particulier d’un passage où l’on voit l’un des personnages, sourd et muet, enfant, désirer avec tant de force s’entraîner au maniement du sabre qu’il ne cesse d’attaquer un maître en art martial qui se refuse justement à lui faire bénéficier de son enseignement. Et à chaque fois, ce maître lui répète « je ne t’enseignerai rien ». Et, au fur et à mesure des pages, et c’est là que c’est tellement beau, on voit qu’en fait il lui enseigne tout, dans cette communication silencieuse de réponse à ses attaques : qu’il observe comment cet enfant évolue à son contact, comment il trouve à chaque fois de nouvelles façons de l’attaquer, de le surprendre, comment il pare ses contre-attaques, et comment, de par son amour pour cet art martial et sa fascination à voir l’immense talent de ce gamin, il l’emmène en fait vers des situations le poussant à évoluer dans cette pratique. Et c’est beau, c’est beau, c’est beau… Et c’est d’autant plus beau que, du fait de la surdité du personnage enfant, les cases se succèdent sans dialogues, parce qu’on voit, juste. Puis, plusieurs chapitres plus tard, un autre sabreur assiste à la scène et dit au maître qu’en fait, en répétant ainsi ces « je ne t’apprendrai rien », il lui a tout appris. Et… je ne dirais pas que ça gâche tout parce que c’est trop beau pour être gâché, mais ça en diminue horriblement la force. Ce qui est compris n’a vraiment pas besoin d’être expliqué.

Bref,

Le show don’t tel est donc un principe qui offre, à mon sens, la plus belle implication qui puisse être donnée à un lecteur dans une histoire : celle de comprendre lui-même ce qu’il se passe, et de l’éprouver. Et, être auteur, n’est-ce pas « donner », justement, aux lecteurs ce qu’on peut leur offrir de plus beau ? Mais il a aussi le défaut, c’est clair, de faire passer l’histoire par ce filtre-là de compréhension du lecteur et donc de nous faire nous exposer en tant qu’auteurs à des lecteurs qui ne verront pas/ne comprendront pas, et pourront donc être extrêmement critiques à cet égard. C’est comme ça.

A l’arrivée, je dirais que c’est un choix.

Mais que c’est le plus beau à faire. 🙂

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2 réponses

  1. Moi tu vois j’aurais au contraire tendance à vouloir tout expliquer, ou mieux^^ Si ce que j’ai voulu faire passer, ne passe pas avec ma betalectrice. Après je ne recherche pas toujours des sens profonds, mon but étant plus de divertir (enfin plutôt dans le MF ou j »écris de la chick-lit), Pour le MM alors là je suis plutôt dans le message anti-homophobie j’avoue.

    Sur l’exemple que tu donnes, tu vois je n’avais pas analysé si loin les comportements quand j’ai lu ta nouvelle, peut-être qu’inconsciemment je l’avais compris ou senti qu’il y avait plus que ça parce qu’elle très intense cette scène. Par contre quand tu expliques, ça devient évident. Après je t’avoue que quand je lis, et comme je lis beaucoup, je ne cherche pas forcément le ou les messages derrières, mais j’adore savoir qu’il en a.

    • Je te rassure : je ne calcule rien non plus. xD Je crée juste des personnages que j’essaye de faire plus approfondis que la simple image que l’on pourrait avoir d’eux, et donc ça influe sur leurs interactions, le déroulement de l’histoire, etc., mais, surtout dans une nouvelle courte, je ne vais pas pouvoir aller dans l’approfondissement quant à leurs histoire personnelles, donc ces éléments ne se transmettront que par petites touches, par de petites suggestions, par des remarques d’autres personnages, des regards ou des comportements qui peuvent se faire poser des questions aux lecteurs et s’imaginer que… C’est juste offrir une histoire possédant certaines profondeurs pouvant toucher, même inconsciemment, et susciter l’imagination (j’adore ça, en tant que lectrice, qu’une histoire suscite mon imagination, en fait, alors c’est quelque chose que j’essaye d’offrir en tant qu’auteur ^^).

      Et tu as raison pour tes bêtas. Je fais pareil, d’ailleurs : on ne peut pas écrire des histoires contentant absolument tout le monde, alors si ça marche avec notre groupe de lectrices à qui on fait confiance les yeux fermés soit nos bêtas, c’est déjà tout ce qu’il faut. 🙂

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