Écrire la prise de risque sexuel (dans l’érotique)

Par Valéry K. Baran

Paradoxalement (ou pas), c’est au moment où j’ai ouvert We Need More Safe Sex que j’ai commencé à vouloir écrire des personnages qui « font des conneries » en matière de risque sexuel.

C’est venu comme ça : j’écrivais ce qui allait prendre le titre de Pour te faire craquer (paru également dans le recueil Des romances et des mots sous le titre d’Emporte-moi) et j’avais imaginé une scène de sexe se passant dans les pots de peinture : quelque chose de très brusque et graphique, avec des couleurs sur les corps et du désir qui ne souffrait pas de délai. Et puis est venu le moment où je me suis rendue compte que, dans ce cas de figure, je ne pouvais pas faire se protéger les personnages. Ils auraient bien invoqué Capt’ain capote qui tombe du ciel si on avait été dans du surnaturel (j’en avais d’ailleurs fait un statut sur facebook), mais on n’était pas dans du surnaturel, pas plus donc qu’ils pouvaient avoir des rapports sexuels à risque sans que ça leur traverse seulement l’esprit puisque j’écris des histoires réalistes et refuse de tordre la réalité selon ce qui m’arrange ou non.
Donc… pas de Capt’ain capote à la rescousse, pas de personnages qui peuvent se déplacer jusqu’à la pièce voisine pour chercher de quoi se protéger, un rapport non attendu donc pas de préservatif dans la poche du jean, et une pièce vide uniquement dédiée à des travaux (donc ne pouvant pas recéler une capote dans un tiroir). Espace de solutions possibles : zéro.
Du coup, eh bien j’ai décidé que mes personnages feraient sans. J’ai toujours choisi d’offrir à mes lectrices et lecteurs une approche réaliste des rapports sexuels, je vais au bout de cette démarche. En outre, j’ai trouvé finalement l’idée super intéressante !!! Je n’avais jamais encore écrit de telle scène, où les personnages ont envie mais ne peuvent pas aller au bout de ce qu’ils voudraient, j’avais donc la frustration à exploiter, la limite entre ce que dicte la raison et ce que dicte le corps, la difficulté à prendre une décision, l’envie de céder, de faire comme si le risque n’existait pas, la raison qui revient par dessus et qui fait se dire « mais non »… Et j’ai a-do-ré écrire ça ! Ça donne une scène super hot, originale… Je me suis éclatée avec.

Et (re-du coup), la fois suivante où je me suis retrouvée devant une scène de sexe à écrire, soit pour l’épisode 4 de L’initiation de Claire, j’ai eu envie d’aller au-delà, sur ce sujet : d’écrire des personnages qui font vraiment une connerie. Ça m’a posé un petit cas de conscience parce que je n’ai pas eu envie de rendre la prise de risque excitante, et que j’aime écrire des scènes excitantes, donc je me suis débrouillée pour modérer cette prise de risque et faire prendre une place importante au raisonnement à un moment donné dedans (euh… bon, lisez, vous comprendrez mieux !), mais j’ai surtout beaucoup aimé écrire cette prise de risque.
Je ne sais pas si je l’ai déjà dit mais je déteste les personnages parfaits, j’abhorre les personnages parfaits : ils m’ennuient, je ne les vois pas « humains », j’ai l’impression qu’ils sont faits de carton-pâte… J’aime les personnages qui font des conneries : des choix parfois bons, d’autres mauvais, des erreurs et qui reviennent sur leurs erreurs, des erreurs parce qu’ils ne savent pas, des erreurs tout en le sachant mais en étant incapable, sur le moment, de faire autrement… C’est ce type de personnages : cette humanité-là, que j’aime écrire, et c’était donc logique que j’arrive un jour à dépasser mes réserves « morales » à ce sujet pour écrire des personnages qui, oui, faisaient aussi (ou s’apprêtaient aussi à faire) ce contre lequel je suis active en matière de prévention.


Et puis je voulais aussi aborder le sujet du test viral et de l’arrêt de l’usage du préservatif, pour ces personnages, et je ne savais pas trop comment l’introduire, ni quand les faire prendre la décision d’en parler, et ce choix m’a finalement permis de le faire d’une manière ultra-naturelle. C’est parfaitement « juste » dans la relation alors des personnages, ça a du sens : que à ce moment-là et de cette manière-là, ils frôlent ainsi ce risque, et ça m’a permis d’arriver exactement où je le voulais.
Bref, je suis on ne peut plus ravie de ce choix. Il est particulier (je ne crois pas l’avoir déjà vu dans un autre bouquin, même si je ne doute pas qu’il y en ait), mais il est juste, il est impeccable pour l’histoire que je voulais écrire et il offre en plus un abord que j’aime particulièrement : celui d’un réalisme original et… oui, je suis contente d’avoir dépassé mes réserves pour traiter ainsi cette scène.

A l’arrivée, je n’ai pas changé de ligne sur ma manière d’écrire des scènes sexuelles. Écrire de l’érotisme prenant en compte la réalité des risques sexuels, c’est aussi écrire des personnages qui peuvent faire des conneries, et ça n’a fait que confirmer mon opinion quant au fait que nier cette réalité n’a vraiment aucun intérêt : c’est se priver de possibilités de développement de la relation entre les personnages, d’approfondissement de leur psychologie, et de sorties des schémas trop communs qu’il serait vraiment, vraiment, dommage de laisser de côté.

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2 réponses

  1. vivianefaure dit :

    Tout à fait.
    Ce qui me dérange le plus dans certains textes érotiques, c’est pas que les personnages ne se protègent pas (effectivement, ça arrive dans la réalité) mais que la narration donne l’impression que cette problématique n’existe simplement pas.
    Juste « oh bonjour bel inconnu, oui faisons l’amour » c’est la réalité alternative du porno et ça ne m’intéresse pas. Alors que dès qu’on rentre dans la tête des personnages et qu’on a par exemple (« ok, je prends un risque, mais… ») ça devient nettement plus « réel ».

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