De la fanfiction

Par Valéry K. Baran.

Je reposte ici cet article écrit initialement pour le site [Espaces Comprises], suite aux réactions à l’article de Neil Jomunsi : Fanfictions : votre passion est illégale, de la part d’auteurs peu avares de propos méprisants envers un genre littéraire que de toute évidence ils ne connaissent pas. Voilà qu’écrire de la fanfiction serait manquer de respect envers les œuvres, de talent, de créativité… J’en passe. Je serais toutefois curieuse de voir en quoi ces auteurs seraient eux, plus respectueux du travail de leurs aînés, plus talentueux et plus créatifs qu’une Naomi Novik, autrice mondialement reconnue qui a quand même gagné le prix Hugo et le prix Nebula et qui écrit pourtant depuis des années des fanfictions sous le pseudo d’Astolat

Mais, en attendant, c’est quoi la fanfiction ? Et pourquoi il est important de comprendre ce que c’est avant de se prononcer sur le sujet ?

 

De la fanfiction

Publié initialement en 2014 pour le site [Espaces Comprises]

La fanfiction, c’est quoi ?

Je sais ce que vous vous dîtes en lisant le mot « fanfiction ». Oui oui : « Ah oui, c’est les gamines, là, qui écrivent leurs fantasmes sur Justin Bieber ou sur les personnages de Twilight ! » Et… nooon ! Ou… ouiii, il y en a aussi, allez, certes, mais ce n’est pas là le plus intéressant.

 

Alors, la fanfiction, c’est quoi ? La fanfiction, c’est le dessin animé Ulysse 31 que vous regardiez peut-être aussi quand vous étiez enfant, c’est O’Brother des frères Cohen, c’est Phèdre de Racine et Œdipe de Corneille, c’est la série Sherlock avec Daniel Cumberbatch, c’est le roman La solitude du docteur March qui a été couronné par le prix Pulitzer, c’est le roman plus décalé Orgueil et Préjugés et Zombies, c’est la série de romans sur Le gouverneur liés à la série The Walking Dead, c’est la quasi-totalité des comics…

Bon, OK, j’avoue : ceux-là n’ont pas le titre « officiel » de fanfiction, mais vous verrez que la nuance est infime. Les œuvres que je viens de citer ne sont pas qualifiées par le terme de « fanfiction » pour une simple raison : elles sont commercialisées. C’est-à-dire que ce sont soit des œuvres tirées de livres tombés dans le domaine public, donc libres de droits (La solitude du docteur March, Orgueil et Préjugés et Zombies, Sherlock, O’Brother, etc.), soit des œuvres dont la production a tout simplement été décidée en accord avec les ayant-droits originaux (les romans liés à la série The Walking Dead, toutes les versions de Superman, des Avengers, de Batman, etc.). la nuance n’est donc que financière :

  • Si c’est commercialisé, ce n’est pas de la fanfiction ;
  • Si c’est invendable pour une question de droits d’auteur, c’est de la fanfiction ;
  • Si c’est commercialisable mais publié toutefois en lecture libre sur le net (cas des fictions sur Sherlock Holmes ou sur Orgueil et préjugés parues sur les sites de fanfiction, par exemple), c’est de la fanfiction.

C’est donc léger léger sur le plan de la différence, hein ? Pourtant, si on se trouve dans le cas de la fanfiction, les règles auxquelles l’auteur doit se plier sont alors très précises :

  • Écrire un « disclaimer » en entête de ses fictions indiquant que les personnages et l’univers sur lesquels le texte qui suit ne lui appartiennent pas et qu’il ne se fait pas d’argent avec,
  • En aucun cas écrire sur l’univers de l’un des auteurs ayant exprimé clairement son refus de voir des fanfictions écrites sur son univers, soit Anne Rice, Archie comics, Dennis L. McKiernan, Irene Radford, J.R. Ward, Laurell K. Hamilton, Nora Roberts/J.D. Robb, P.N. Elrod, Raymond Feist, Robin Hobb, Robin McKinley et Terry Goodkind (en vrai, il y avait aussi G.R.R. Martin mais, s’il a refusé les fanfictions sur ses bouquins, il les a acceptées sur la série adaptée de ses bouquins. Cherchez l’erreur…)
  • En aucun cas et à aucun moment possible n’en tirer un bénéfice financier.

Exceptions sur ce dernier point : les fanzines, édités sur des jolies feuilles A4 agrafées à la main et vendus à la dizaine dans les conventions pour un prix ne remboursant guère plus que celui de la feuille et de l’encre : toléré.
Deuxième exception : la plate-forme Kindle Words (Amazon, bonjour !) qui a négocié des contrats avec certains producteurs de série de manière à pouvoir vendre des fanfictions sur leur site et s’en partager les recettes, c’est-à-dire entre 1) les personnes possédant les droits de la série en elle-même, 2) l’auteur de la fanfiction, 3) Amazon lui-même (ah, Amazon… toujours sur les bons coups pour se faire de l’argent). À noter que ce cas est limité à un nombre de séries se comptant sur les doigts d’une main et uniquement en langue anglaise.

Toute autre vente de fanfiction que vous pourriez croiser est il-lé-gale ! (sachant que la fanfiction en elle-même n’est même pas légale : elle est « tolérée »).

Fin de la séquence juridique.

Alors, du coup, la fanfiction, c’est quoi ? Eh bien, c’est tout simplement une œuvre tirée d’une autre œuvre.

Cas les plus classiques des sujets développés par les auteurs, pour donner des exemples :

  • La fin manquante (exemple : quoi ? On ne sait pas encore ce qu’il va se passer à la fin du Trône de fer?),
  • La scène manquante (dans Avengers, on sait que Loki a-t-il été enlevé par les extra-terrestres mais on ne sait pas pourquoi…),
  • L’idée de suite (et si un anneau du Seigneur des anneaux réapparaissait dans les années 2000 ?),
  • L’angle de vue non abordé (d’accord, dans le dernier tome d’Harry Potter, Harry quitte Poudlard et part chercher les horcruxes. Mais, pendant ce temps-là, la résistance à Poudlard, avec Neville, elle s’organise comment ?),
  • La version alternative (c’est quoi cette fin en eau de boudin de Star Trek into Darkness? Mais je vais te la réécrire comme ça aurait dû être fait, moi !)
  • Et… et c’est un grooos élément des fanfictions, la romance non développée ET le sexe qui va avec.

Pour la petite histoire, la première fanfiction publiée sur le géant de la fanfiction mondiale, qui est le site fanfiction.net, est une romance Mulder/Scully (X-files), les toutes premières fanfictions publiées que l’on peut dater (si on exclut Racine et tous les autres cas qu’on ne qualifie pas officiellement de fanfictions mais qui en sont quand même…) l’ont été sur des séries de Science-fiction, avec en tout premier lieu des romances Kirk/Spock (Star Trek). Eh oui, déjà. Tout comme le premier film du cinéma comportait déjà le premier effet spécial, les premières fanfictions portaient déjà sur la vie amoureuse, sexuelle, voire homosexuelle des personnages. On est donc bien d’accord sur le fait que la romance/la sexualité des personnages est le sujet le plus développé des fanfictions.

Raison (parce que je sais qu’à ce point-là de cet article vous vous posez la question), tout simplement parce que ce qui est intéressant dans la fanfiction, ce n’est PAS de développer ce qu’a déjà développé l’auteur d’origine (ça : ON S’EN FOUT ! C’est déjà là, pourquoi le ferait-on une deuxième fois ?) mais de développer tout ce qui a été caché, tu, et laissé de côté… tout ce qui a titillé l’imaginaire, tout ce qui n’a pas été montré. Et, en 1) la romance, en 2) la sexualité, et en 3) l’homosexualité, c’est typiquement ce qui est sous-entendu, laissé à l’interprétation du lecteur/spectateur et donc ce qui donne envie d’être développé, surtout pour le point 3 qui, jusque-là, était beaucoup caché (actuellement, c’est moins le cas).

Autres sujets fréquents : des dérivations de l’histoire de base. Exemples : transposition dans une autre époque, comme on le voit dans la série Sherlock qui montre une version contemporaine de Sherlock Holmes ou dans le dessin animé Ulysse 31 qui transpose l’Odyssée d’Ulysse dans le futur,. Autre exemple : l’apparition de zombies dans une œuvre n’en comportant pas à l’origine du roman Orgueil, Préjugés et zombies. Et ces dérivations peuvent aller jusqu’à l’écriture de fanfictions qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’œuvre d’origine…

En fait, au bout d’un moment, on considère que le fandom (c’est-à-dire l’ensemble des œuvres produites à partir d’une œuvre de base) s’auto-influence. C’est-à-dire que les lecteurs de fanfiction peuvent finir par ne plus lire du tout/ne plus regarder du tout l’œuvre d’origine, si elle est en cours, surtout si les saisons s’enlisent, la saga devient moins bonne, etc. Mais ils vont par contre continuer à faire vivre l’univers qui les a captivés, à l’origine, en continuant à lire les fanfictions écrites dessus et/ou à en écrire. La référence n’est donc plus alors l’œuvre en elle-même mais tout ce qui s’est créé autour : le fandom développe sa vie-propre. Et là apparaît toute une variété d’histoires déviantes.
Exemples : un jour, un auteur a envie de faire du personnage d’Edward un Dominateur sexuel (avec un grand « D », comme dans « BDSM ») et, paf, d’autres auteurs vont avoir envie d’écrire des fanfictions BDSM sur Twilight ; un autre a envie d’imaginer comment seraient les personnages du manga Naruto s’ils étaient au lycée et, paf, les schoolfics (ça porte un nom, oui), vont pousser comme des petits pains. Au même titre, on voit parfois des séries de vampire-fics (et si Draco Malfoy était en fait un vampire ?), de Dark!nom du personnage (exemple : Dark!Harry si la version « dark » d’un Harry Potter s’est mise à faire des émules), etc.

Le fait d’avoir un vocabulaire propre favorise aussi les liens très forts dans le milieu de la fanfiction et peut en arriver au point que l’œuvre originale soit totalement éclipsée par ses imitations.

C’est ce qui est arrivé au fandom Twilight : aujourd’hui, si vous voulez chercher des vampires dans les fanfictions écrites sur cette œuvre, vous pouvez vous préparer à chercher longtemps… trèèèèès longtemps… Et ça fait une paye que ça dure (en fait, s’il y a eu un jour des fanfictions Twilight écrites sur des vampires, ça n’a pas dû durer longtemps). Toutes les fanfictions Twilight ou quasi n’en sont pas, en fait : elles reprennent les personnages, qui sont finalement plus qu’aisément reprenables dans le sens où ils représentent des stéréotypes extrêmement communs en matière de romance, et après les fictions sont toutes des fictions originales : seuls les noms des personnages et certaines de leurs caractéristiques (physiques et de caractère) sont conservées. En fanfiction, le fait de ne pas respecter les caractères des personnages porte même un nom : OOC (out of character), son opposé étant IC (in character), ce dernier étant le plus beau compliment qu’un auteur puisse recevoir s’il a veillé à respecter les personnages de l’œuvre d’origine (le Graal de l’auteur de fanfiction, en quelque sorte)… mais dont beaucoup d’auteurs n’ont strictement rien à battre. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui annoncent sans gêne en entête de leurs fictions le fait que leurs personnages sont OOC. Voilà c’est dit, autrement dit : foutez-leur la paix si leur vision des personnages ne vous convient pas.

Et les auteurs des œuvres d’origine, qu’est-ce qu’ils en disent ?

Du bien, du mal, ça dépend des cas.

Il y a la liste de ceux qui refusent les fanfictions sur leur univers qui en disent du mal, il y a ceux qui favorisent la fanfiction au point d’en héberger ou d’en avoir hébergé à un moment donné sur leur site personnel d’auteur, il y a ceux qui sont allés jusqu’à appuyer la publication d’une fanfiction basée sur leur œuvre en tant que roman publié, il y a surtout l’immense majorité des auteurs qui n’en dit rien et laisse faire…

Parlons des cas particuliers :

  • G.R.R. Martin : fermement opposé à la fanfiction sur ses œuvres, comme on en a déjà parlé, mais qui a dit qu’il se moquait qu’on en écrive sur la série basée sur ses romans… Totalement illogique, comme positionnement, mais ça a ouvert toute grande la porte aux fanfictions sur Le trône de fer qui, du coup, ne sont pas annoncées comme tirées des romans mais de la série, mais c’est une distinction juste symbolique, hein ?,
  • J.K. Rowling : fortement positionnée en faveur de la fanfiction, mais avec l’émission d’une réserve sur la fin qui, exprimée trop tard, n’a jamais été entendue, du coup. Pour la petite histoire, après avoir exprimé plus que clairement son affection pour les fanfictions, J.K. Rowling est revenu quelque peu sur ses propos en découvrant des fanfictions soit particulièrement poussées sur le plan sexuel soit particulièrement violentes, ce qui l’a inquiétée étant donné qu’Harry Potter est une saga de romans jeunesse, donc lue par des enfants, entre autres, et qu’ils pouvaient donc tomber sur ces fanfictions non adaptées à leur âge. Il y a même eu une action de ses avocats pour faire fermer un site hébergeant ces fictions et elle a exprimé clairement le fait qu’elle ne voulait pas que ces fanfictions-là soient publiées (porno, extrêmement violentes, etc.). Mais, eh, ça faisait des années que le fandom Harry Potter existait et s’auto-alimentait ! Des années que les auteurs de ce fandom étaient habitués à écrire de la violence (celle dans les romans était présente, elle a été exacerbée dans les fanfics) et du porn’ Harry/Draco, Draco/Hermione, Rogue/Hermione, etc. Et les habitudes n’ont pas été changées (je précise toutefois que, si, je cite le point ayant dérangé J.K. Rowling, le fandom Harry Potter est extrêmement varié et ce type de fanfictions très loin d’en représenter la majorité),
  • Les frères du groupe Tokio Hotel et les acteurs Robert Downey Jr et Jude Law : j’ai considéré longtemps avec un certain effarement (ou un effarement certain) l’existence de fanfictions sur ces « personnes » (et non pas ces « personnages ». On appelle ça des R.P.F. : « Real People Fic ». Oui, là aussi, ça porte un nom) mettant en scène les deux frères dans une relation sexuelle incestueuse ou ces deux acteurs dans une relation… sexuelle aussi, hein ?, alors que ce sont de vraies personnes : pas juste des personnages avec lesquels on peut jouer. Et puis les deux frères ont exprimé publiquement qu’ils connaissaient l’existence de ces fanfictions et que ça ne les dérangeait pas, et les deux acteurs se sont carrément filmés en lisant les fanfictions écrites sur eux et en délirant à ce sujet (ils en rajoutaient même pour titiller leurs fans (au féminin, le mot fan)), donc bon. Si ça ne les dérange pas.
  • Marion Zimmer Bradley : le cas le plus dramatique qui puisse être cité et celui qui représente désormais la référence des risques de dérive de la fanfiction. L’histoire est longue mais, pour la résumer vite fait, Marion Zimmer Bradley avait encouragé la production de fanfictions sur sa saga Ténébreuse dans un fanzine d’une manière extrêmement forte dans le sens où elle chapeautait carrément tout ça et qu’elle en rassemblait les meilleures dans une série d’anthologies. Et puis, un jour, voilà qu’elle lit une fanfiction basée sur son monde et ses personnages qui recouvre des éléments qu’elle a utilisés pour le roman qu’elle est en train d’écrire sur sa saga Ténébreuse… Ca-tas-trophe. Elle décide donc d’envoyer un courrier à l’autrice concernée et lui propose à la fois une mention de son nom et une petite somme d’argent en compensation. Là, la version de l’autrice de la fanfiction diffère puisqu’elle déclare que Marion Zimmer Bradley lui a proposé de l’argent en échange de la cession de tous ses droits sur sa fanfiction, et qu’elle a en fait voulu utiliser sa fanfiction pour en faire son roman suivant. Une troisième version dit que Marion Zimmer Bradley lui aurait proposé de l’argent pour reprendre juste une de ses idées. On ne saura donc pas, mais ce qui est sûr, c’est que c’est allé jusqu’à la prise d’avocats et l’action en justice et que Marion Zimmer Bradley a fermé derrière totalement la porte aux fanfictions et en a interdit la publication.

Conclusion ?

S’il en faut une, le conseil le plus fréquemment donné par les auteurs concernant les fanfictions publiées sur leurs œuvres est de ne jamais les lire, surtout s’il s’agit d’une œuvre inachevée, conseil qui me paraît extrêmement pertinent et qui mérite d’être étudié.

Conclusion 2 : la fanfiction, c’est quelque chose de non maîtrisable. D’une part, aucun auteur ne pourra jamais empêcher qu’il en soit « écrit » : à la rigueur, il peut empêcher qu’il en soit « publié ». D’autre part, il existe même des fanfictions sur les œuvres des auteurs faisant partie de la fameuse liste d’auteurs en refusant. Le site AO3, en particulier, a une équipe légale chargée de contester les plaintes qui pourraient être déposées par les ayants droits en se protégeant pour cela derrière la loi américaine.

À l’arrivée, tenter de lutter contre la fanfiction, pour un auteur, c’est comme tenter de remettre un poussin dans sa coquille : une fois que son œuvre est publiée, elle ne lui appartient déjà plus totalement ; elle appartient aussi à ses lecteurs.

Mais alors, pourquoi c’est bien ?

(oui oui, parce que je vois bien que, à ce stade, vous n’êtes pas convaincus du bienfait de ce type d’écriture).

Je vais essayer de lister tous les points importants :

  • Parce que ça fait lire et/ou écrire des gens qui ne l’auraient pas fait sinon.

Celui-là, il est à mettre en gras, en gros et en clignotant. Relisez-le pour bien le faire entrer dans votre esprit.

  • Parce que c’est un excellent moyen d’expression.

Non seulement tous les sujets sont abordables dans la fanfiction, mais le public est là. On trouve depuis longtemps dans la fanfiction des sujets et des genres qui ne commencent qu’à peine à être acceptés dans le milieu de l’édition, pour dire. En premier lieu, celui de l’homosexualité. Aujourd’hui, on commence à voir du M/M ou du F/F (male/male, female/female) arriver chez les éditeurs. Dans la fanfiction, ça fait des dizaines d’années que ces types de romance existent et se développent.

Prenez aussi le sujet du BDSM, qui est à la mode en ce moment, dans les romans érotiques. On considère que la saga Fifty Shades of Grey a été un déclencheur mais cette saga n’a été qu’une copie d’autres fanfictions BDSM qui existaient auparavant et qui ont vu le jour non seulement dans le fandom Twilight mais aussi dans d’autres fandoms et… qui ont créé des émules, derrière, dans le milieu de la fanfiction, jusqu’actuellement dans le milieu de l’édition.

Parlons d’un sujet plus tout-public : les fameuses school-fics, par exemple. C’est un excellent moyen pour des auteurs plus jeunes de parler de leur propre vie, de leurs questionnements d’adolescents, de leurs peurs, de leurs envies…

En fait, dans la mesure où il y a une base : 1) personnages et univers aisément utilisables, car déjà définis, 2) public présent déjà séduit par l’univers et les personnages, 3) liberté totale dans la mesure où aucune question de succès ou de rentabilité, comme dans la publication payante, ne s’exerce, l’étendue des possibilités est énorme. Et une variété extrêmement importante de sujets peut être traitée ET partagée avec les lecteurs.

  • Parce que c’est formidable moyen de s’exercer à l’écriture.

D’une part, comme cité ci-dessus, l’accès est plus aisé (personnages/univers/amour des lecteurs pour ces personnages et cet univers déjà présents). D’autre part, les échanges sont extrêmement nombreux, les auteurs s’entre-commentent, les lecteurs se manifestent aisément… Il y a une très forte émulation entre auteurs. Le fait de lire et de commenter pousse aussi la réflexion sur ce qu’est une bonne fiction, comment en écrire une, comment parvenir à traiter ce point précis ou à construire un scénario… Et, extrêmement important, aussi, le fait d’être entre personnes ayant le même niveau, soit le niveau débutant, est beaucoup moins effrayant que de devoir plonger dans un monde d’auteurs dont la différence de niveau serait sidérale.

On trouve de tout, en fait, dans la fanfiction : des auteurs fabuleux (certains de mes auteurs préférés tous types d’écriture confondus sont encore aujourd’hui des auteurs de fanfiction, pour dire), des tous jeunes débutants extrêmement maladroits, des gens qui n’ont pas encore compris que le SMS était rédhibitoire (ils le comprennent dès les premières tannées qu’ils se reçoivent en commentaire, ceci-dit : pour ça, ça va vite), des gens qui n’ont pas encore une grande expérience mais chez qui on sent l’étincelle magique qui donne envie de les suivre dans l’avenir…

  • Parce que c’est un vrai terreau d’émergence de nouveaux auteurs.

Savez-vous qu’Emily Blaine (éditions Harlequin), Cristina Rodriguez (Le masque, Flammarion…), Cécile Duquenne (Bragelonne…),ou les vedettes internationales toutes traduites en diverses langues : Meg Cabot, Marissa Meyer, Ali McNamara, Naomi NOVIK, Cassandra CLARE, Holly Black, Lois McMaster Bujold, Rainbow ROWELL… ont commencé par la fanfiction ? Savez-vous que les best-sellers mondiaux Cinquante nuances (bon, OK, celui-là, tout le monde le sait), Le divin enfer de Gabriel, La soumise, La cité des ténèbres et Beautiful Bastard sont d’anciennes fanfictions ? Et on peut ajouter d’une certaine façon John Scalzi, Neil Gaiman, Orson Scott Card…

Les auteurs faisant leurs classes dans ce domaine ne sont plus quantifiables.

  • Parce que c’est un terrain de jeu extrêmement ludique.

Parce que tout est possible, justement.

Des jeux sur le plan de l’écriture sont très souvent organisés. La plateforme « LJ » en est pleine, notamment, avec des défis en tous genres. Citons en vrac :

  • Tous les défis fonctionnant sur le principe du « prompt » : une idée/une phrase/une image sur laquelle écrire un texte, et roulez jeunesse !
  • Tous ceux sur le principe du « thème », qui peut être changeant (un thème par mois, par exemple, sur certaines communautés d’auteurs LJ), et on écrit une fiction dessus. Exemples de thèmes : les ennemis jurés, l’apocalypse, la nostalgie, le polar…
  • Tous ceux construits comme de véritables jeux, l’un des défis consistant à recevoir une carte de bingo, avec des cases dans lesquelles sont notés de thèmes ou des sujets d’écriture, et à barrer des lignes, horizontales, verticales ou diagonales, voire à barrer toutes les cases de la carte en écrivant une fiction différente sur chaque thème/sujet indiqué,
  • Tous ceux représentant de véritables défis d’écriture, comme tous les groupes proposant d’écrire 30 fictions sur un thème particulier (exemple de la communauté « 30 baisers ») ou 100 fictions en suivant une liste choisie de 100 sujets/thèmes qu’il faut impérativement respecter
  • Tous ceux fonctionnant sur le principe d’échange par cadeaux, où l’on peut faire part de ses désirs (« j’aimerais une fanfiction sur les personnages de Sherlock et d’Holmes, mais sans qu’il y ait de relation autre que l’amitié entre Sherlock et Holmes »…), inventer des prompts à soumettre aux autres auteurs (« fandom : Le seigneur des anneaux, personnage : Legolas, prompt : Si longues sont les années »…) et, bien évidemment, répondre à ces demandes. Il existe même une communauté dont le but est de faire des dons à des organismes caritatifs : au lieu d’« acheter » et de « vendre » des créations, des acheteurs proposent de l’argent en échange de l’écriture des fanfictions dont ils rêvent, ce à quoi répondent des auteurs, sauf que ces derniers ne touchent rien : toutes les sommes d’argent promises sont versées à une ONG.
  • Mais il y a aussi des concours variés, avec prix à la clef (un chèque d’achat sur Amazon, une mise en avant de la fanfiction écrite sur un site de publication…), ou non : la seule satisfaction d’avoir gagné le concours suffisant.
  • Parce que c’est permettre que les personnages et l’univers que l’on a aimé continuent à vivre éternellement.

Et, rien que ça, c’est exceptionnel !

 

Le mot de la fin

J’ai cité plus haut quelques cas particuliers d’auteurs s’étant positionnés sur le sujet de ce travail de fans, mais j’ai envie d’en citer désormais un autre :

Keno Don Rosa : l’auteur qui a écrit et dessiné La jeunesse de Picsou, adaptée de l’œuvre de Carl Barks. Il a toujours refusé de considérer son travail autrement que comme celui d’un fan, même après avoir été engagé par Disney et malgré le fait que sa vision de la jeunesse de Picsou est estimée quasi universellement comme LA référence. Il cache d’ailleurs systématiquement l’acronyme D.U.C.K dans ses premières pages, en hommage à son maître, ce qui signifie « Dedicated to Uncle Carl by Keno ». Malgré son statut d’auteur plus que reconnu et sa très grande notoriété, ce vieil homme continue donc à se considérer comme un simple « fan », parce qu’il est toujours resté aussi amoureux du travail de Carl Banks et que ce statut de fan est important, pour lui.

Par ailleurs, avoir des fanfictions écrites sur ses œuvres, ce n’est vraiment pas une perte pour un auteur ; au contraire, même : si la chaîne HBO s’est prononcée en la faveur de la fanfiction, ce n’est pas pour rien. Des lecteurs découvrent régulièrement des œuvres ainsi, se mettent à acheter les romans/séries/comics/films concernés, voire militent pour l’édition en français d’œuvres qu’ils ont découvertes par ce biais dans d’autres langues. Pour Le trône de fer, il m’est déjà arrivé de recevoir un message d’une lectrice m’informant qu’elle avait acheté l’intégrale de la saison 1 de la série suite à une fanfiction qu’elle avait lue de ma part, par exemple, alors qu’elle ne connaissait absolument rien à cette saga auparavant.

Je vais finir sur cette remarque :

Je suis une autrice ayant commencé par la fanfiction et, je peux le dire, si je songe à la récompense ultime que je pourrais recevoir un jour en tant qu’autrice, il ne s’agit pas d’un prix qui pourrait être décerné à l’une de mes histoires, pas plus qu’une émission de télé ou un chiffre de vente à plusieurs zéros. Très honnêtement, ce serait de voir naître des fanfictions sur mes romans. Si un jour ça m’arrive, si un jour des personnes développent l’envie de continuer à faire vivre ainsi mes personnages et leur univers, et si ces fanfictions se développent suffisamment pour faire en sorte que mon univers et mes personnages puissent continuer à avoir une existence propre, alors là, oui, là j’aurais vraiment le sentiment d’avoir produit quelque chose de grand.

Pour aller plus loin :

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4 réponses

  1. Excellent article, et très complet.
    Comme je fais partie de ceux qui se sont exprimés chez Neil Jomunsi, je tiens à préciser que je ne me suis pas placé en opposition aux fan-fictions (vraiment pas, d’ailleurs, j’en ai écris). Comme la plupart des autres commentateurs, je me suis placé en opposition à la proposition de Neil, ce qui est très différent. Pour toutes les raisons exposées dans ton article, je pense que le contexte juridique actuel lié à la fan-fiction est un statu-quo qui fonctionne et qui n’a pas à changer :
    – pour tous les points positifs que tu cites, il faut que les fan-fictions restent tolérées, voire encouragées par les auteurs (qui ne devraient pas en avoir peur outre mesure) ;
    – pour les excès que tu cites aussi, il faut néanmoins que les auteurs gardent la possibilité d’intervenir lorsque la situation dérape.

    Ces dérapages sont pour le moment très rares voire anecdotiques. Je ne suis pas sûr qu’il en serait de même demain si tout à coup la fan-fiction devenait légale, si n’importe qui avait le droit de réutiliser les œuvres des autres n’importe comment et sans aucun droit de regard des auteurs. Aujourd’hui on demande aux auteurs de fan-fiction un minimum de respect de l’oeuvre, d’informer les lecteurs qu’il s’agit de fan-fiction, et d’avoir l’autorisation de l’auteur de l’oeuvre originale (ce qui me paraît quand même la moindre des politesses). A partir du moment où ils respectent cela, ils peuvent s’adonner à leur passion sans crainte aucune, donc j’ai du mal à percevoir où est le problème.

    Ceci-dit (et pour conclure mon commentaire comme je conclus chacun de mes articles de blog), « ce n’est que mon avis ».
    🙂

    • Salut !
      En fait, les commentaires qui m’ont fait le plus réagir sont des commentaires vus sur les réseaux (facebook, en particulier. J’ai vu notamment un auteur tout fier de déclarer qu’il faisait supprimer des fanfictions en allant agresser leurs auteurs…).
      Concernant le fait de légiférer sur le sujet, j’avoue avoir aussi tendance à être du groupe « ça marche comme ça, ne touchons surtout à rien ! », généralement par peur que légiférer empire les choses plutôt que les améliore. Cependant, diverses expériences m’ont donné tort, depuis (dans des domaines tout à fait différents de celui du droit d’auteur), et je ne suis plus si craintive à ce sujet. En effet, il y a très peu de dérives, dans l’ensemble, sur la fanfiction (les cas de « vente » restent extrêmement minoritaires, notamment), mais une loi pourrait peut-être permettre de les éviter, en plus de poser un cadre clair pouvant être bénéfique pour chacun. Pourquoi pas ?, en tout cas. 🙂

  2. Dorian Lake dit :

    C’est la consécration d’un écrivain, quand son œuvre suscite de la fan-fiction. Je ne demande que ça, personnellement.

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