Pourquoi je ne restreins pas mes récits érotiques à un public « mature »

Par Valéry K. Baran

J’ai eu cette discussion il y a longtemps, déjà… Je crois que j’ai eu une tonne de débats dessus. La première fois, c’était quand j’étais dans la fanfiction, et c’était à la limite de la bagarre, même, tant il y avait deux clans qui s’opposaient sévère à ce sujet. J’y ai repensé récemment en publiant des textes sur la plateforme Wattpad, en plus de ma publication chez éditeur, et encore plus récemment en découvrant que, sur cette plateforme aussi, il y avait des gens très investis dans la chasse aux histoires ne respectant pas la catégorie d’âge dans laquelle elles devraient être postées (ils se sont même réunis en groupe pour ce « combat »)…

OK, c’est le cas des miennes.

La raison me dit que je ne devrais pas trop parler de ce sujet, du genre je devrais faire un peu tête basse, vu que je ne respecte donc pas le règlement de cette plateforme sur ce point, mais ma position étant une position engagée, mon engagement me dit que, si, je devrais en parler. Je ne respecte pas le règlement et je ne le respecte pas volontairement, et de manière parfaitement réfléchie. J’ai encore beaucoup beaucoup pesé la question en voyant comment ça se passait au sujet des fictions « matures » sur ce site, et j’ai pris cette décision en toute conscience.

Donc…

Pourquoi est-ce que je ne restreins pas mes récits érotiques à un public « mature » ?

Il y a une chose qui me dérange fondamentalement dans les règlements de ces sites (américains, hein ? Ça ne rigole pas sur le sujet – je rappelle que Amélie Poulain était interdit en salles aux moins de 18 ans là-bas, quand les films de Tarantino, à partir de 12 ans, généralement c’est bon ça passe : on peut voir des scènes de torture et des crânes exploser tout va bien), c’est le manque de mesure. Il y a du sexe ? Paf, ça sera à partir de 18 ans ou rien. Il y aurait une limite à 15 ou 16 ans, je la respecterais avec grand plaisir, comme je la respectais quand je publiais de la fanfiction parce que cette catégorie-là était présente (à 16 ans, c’est bon, il faut pas abuser : on peut lire une histoire dans laquelle il y a du sexe), mais restreindre l’intégralité des histoires comportant des scènes sexuelles aux personnes de plus de 18 ans… C’est, pour moi, une erreur.

Je m’explique.

La curiosité à l’égard de la sexualité, c’est quelque chose qui se manifeste bien avant d’atteindre l’âge de 18 ans, et même plus typiquement à l’adolescence. Et les adolescents… Ils vont faire ce qu’il faut pour trouver ce qu’ils veulent, hein ? Aujourd’hui, la plupart des ados ont des smartphones, quand ce n’est pas leurs ordinateurs personnels directement dans leur chambre, même avec toutes les barrières que pourront mettre les adultes avec les restrictions parentales, ça va certes limiter la casse (heureusement) mais il y aura toujours un.e camarade, un.e ami.e… pour leur montrer un contenu censé être réservé aux plus de 18 ans. Pareil pour les sites qui demandent d’indiquer son âge : ce n’est pas très difficile de cliquer sur « oui oui, j’ai plus de 18 ans, bien sûr ! ». Pareil pour tous les sites qui proposent un contenu porno sans demander de limite d’âge, voire directement associées à des loisirs comme les mangas ou les dessins animés (tout va toujours bien, oui). Le site Wattpad en fait d’ailleurs partie : des histoires contenant du sexe, publiées sur ce site hors de la catégorie « mature », disons-le clairement : il y en a des kilos.

Or, quel est exactement ce contenu ? Dans sa grande majorité, le contenu sexuel auquel vont être exposés les adolescents est un contenu pornographique, c’est à dire… Mouais, pas celui où l’image de la femme est la plus réjouissante. La femme y est objectifiée, humiliée, violentée… Et tout ceci y est valorisé. Le plaisir féminin ? OSEF. Le consentement ? OSEF. La capote ? Ah bon, ça existe, ça ? Il suffit de passer même simplement dans la catégorie « romance » du site Wattpad, pour voir des autrices qui prennent elles-mêmes pour nom d’auteur « la pute », des résumés qui comportent de charmants « Chui une grosse chienne », des mecs qui commentent en promettant des « jvais te faire étouffer sur ma bite »… et ce, à grande échelle : c’est vraiment quelque chose de très répété. C’est ça, la réalité de ce qui est offert actuellement en représentation de la sexualité. Alors, certes, il n’y a pas que ça, mais cette image-là de la sexualité reste quand même une représentation très forte qui fait autant d’émules derrière.

Bref, et bien sûr, ces histoires-ci, alors là, la restriction aux moins de 18 ans… Il n’y en a pas, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas rare que leurs auteurs eux-mêmes aient moins de 18 ans, ou à peine (alors interdire leur histoire aux personnes ayant le même âge qu’eux…). Bref.

Et à côté, se trouvent des auteurs qui offrent des représentations différentes. Auteurs souvent plus âgés, textes bien travaillés, visions de la sexualité plus réfléchies, avertissements en introduction de leurs histoires pour prévenir du contenu, mise en avant de la capote, mis en avant du consentement… Good job ! Il y a vraiment une maturité dans l’approche littéraire qui est assortie à une responsabilité vis à vis de ces chères têtes blondes. Ces histoires se retrouvent donc toutes réservées à des lecteurs de plus de 18 ans…

C’est chouette, donc. Mais n’est-ce pas un petit peu tard ?

Personnellement, vous le savez si vous suivez mon action au sein de We Need More Safe Sex Books, je suis une autrice très engagée dans la prévention en matière de sexualité et l’information des lecteurs. J’écris des romans à but de « distraction », hein ? Je n’écris pas des manuels, du tout. Cependant, dans ces romans chauds, érotiques, graves ou funs… le préservatif fait partie intégrante de mes scènes sexuelles, mes personnages communiquent, se respectent, s’écoutent, s’ils dérapent d’une manière ou d’une autre dans leur comportement c’est mis en avant comme un élément problématique et critiqué, le plaisir sexuel féminin n’est pas limité à celui de la pénétration, le rôle dominant dans le sexe n’est pas réservé au personnage masculin, dès lors qu’il l’est nécessaire (et sur le net, en particulier) des avertissements sont présents quant au contenu de ces histoires…

L’adolescente de 15 ans qui, titillée par ses hormones et/ou sa curiosité en matière de sexe, lira mes histoires érotiques, pourra donc aussi avoir accès à cette vision-là de la sexualité et des rapports amoureux ou entre amants. C’est à dire qu’elle pourra voir que, si elle ne se sent pas à l’aise dans une situation, elle peut dire « non », que le préservatif ce n’est pas anti-érotique ou quelque chose de gênant à évoquer, que son clitoris n’est pas un organe annexe de sa sexualité et qu’elle a même le droit de se caresser elle-même lors de la pénétration, que l’homme n’a pas seul le pouvoir, que communiquer c’est quelque chose de merveilleux à faire dans sa sexualité… Et l’adolescent aussi peut le voir. Qu’être un mec cool, sexy, et attractif, ce n’est pas dégrader sa partenaire, que si quelqu’un a bu ou est dans une situation qui peut perturber son jugement (que ce soit soi-même ou son partenaire), il faut être particulièrement vigilant au consentement de chacun, que laisser les rênes à l’autre c’est hot aussi, qu’on peut construire un rapport à deux progressivement en étant à l’écoute de chacun… Et que tout ça c’est sexy, et que tout ça c’est chaud, et que tout ça c’est être cool et assurer sexuellement.

Alors, pourquoi devrais-je bloquer volontairement l’accès à tout ceci à des personnes de moins de 18 ans en sachant que, d’ici là, ils auront eu mille fois l’occasion d’être exposés à un contenu sexuel qui leur enseignera une vision diamétralement opposée à celle-ci ? Pourquoi ne le réserverais-je qu’à des personnes ayant déjà eu, entre temps, leurs premiers rapports sexuels, et ce parfois depuis plusieurs années ?

Alors, bien sûr, des fois je me dis « ouch, quand même, cette scène-là, lisible par des adolescents »… Oui, ça me chagrine. Je voudrais une limite à 15-16 ans. Sérieux. Je ne vais pas faire comme si ça ne me gênait pas. Et en même temps, je sais pertinemment, pour avoir bien eu le temps de le voir, non seulement dans toutes les discussions que j’ai pu avoir au sujet de la sexualité IRL, mais aussi et de manière très nette quand je publiais de la fanfiction, que plus le contenu est hard, plus le contenu promet quelque chose de sulfureux et d’extrême… Plus ça va attirer les adolescents. Encore récemment, on parlait de Sade, le nombre de gens qui sont arrivés pour dire « moi je l’ai lu à 12-13-15 ans… » était énorme. Généralement, à 20 ans, j’ai l’impression qu’on est moins empressé de lire ce type de littérature… Donc… Bon. Ils sont jeunes. Ils ont une curiosité forte envers ce type de contenu, ils auront deux types de contenu qui pourront leur être proposés : les tubes/écrits pornos avec leurs images dégradantes et la valorisation de la violence/l’humiliation envers les femmes… et des romans comme les miens avec la mise en avant du respect mutuel, du safe-sex, et de la découverte et de l’écoute de son corps…

C’est un choix de ma part. C’est un choix engagé… Je me ferai peut-être tacler un de ces jours par des personnes qui estimeront que, non, ce n’est pas bien ce que je fais, et que le règlement se doit d’être respecté point à la ligne, etc. Je sais que ma position est critiquable à plusieurs égards. Mais c’est comme ça. Elle est réfléchie. Elle est pesée. Elle est volontaire. Et c’est un engagement personnel.

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