Personnage masculin/personnage féminin

Par Valéry K. Baran.

Je réagis à une discussion que j’ai eue récemment sur facebook et qui tournait autour du fait qu’un personnage masculin et un personnage féminin ne pourraient pas être interchangeables : qu’un mec ne réagit pas comme une femme, qu’une femme ne réagit pas comme un homme…

Mouais. Je ne suis pas si catégorique à ce sujet, personnellement. En fait, je trouve ça même vachement réducteur.

Le développement :

Je vais déjà dire quelque chose de très simple : il m’arrive parfois d’écrire un personnage dans un sexe et de le changer après pour lui donner un autre sexe. La raison ? Toujours la même : la constatation que je suis en train de tomber dans le stéréotype « personne douce, qui soigne, à qui on se confie, qui subit, etc. » = femme et « figure d’autorité, personne agressive ou potentiellement violente, qui mène, etc. » = homme. Bref, les stéréotypes de base, quoi. Et, quand je me rends compte que je suis en train de faire ça, pouf, j’opère un changement de sexe, pour voir. Ça me fait faire un travail de réécriture, certes, mais ça ne rend pas le personnage fondamentalement différent (juste le personnage féminin plus badass, généralement, et le personnage masculin plus attachant). Bref, des personnages plus riches, quoi.

Alors, certes, si l’histoire est : une princesse, qui doit être mariée de force, et qui se fait finalement enlever par un prince sur son cheval qui se met à genoux devant elle pour lui offrir une bague, ce n’est pas franchement possible que les personnages soient écrits dans d’autres sexes. Jusque là, on est d’accord.

Mais, si l’histoire est X qui rencontre Y en faisant son footing, X qui drague Y, les deux qui sortent ensemble, avant que l’ex. d’Y arrive et pose des problèmes, mais à la fin X et Y finissent heureux et s’embrassent sur un bateau en pleine mer, vous pouvez me dire ce qui détermine le fait que X soit plutôt de tel sexe et Y de l’autre ? Ce qui détermine le fait qu’il s’agisse d’un couple hétéro, homo, MM ou FF ? Pas moi. Ce peut être la femme qui drague l’homme, ce peut être l’homme qui claque la porte parce que la femme est trop pénible, ce peut être lui qui est possessif, ce peut être elle, l’un ou l’autre peut être infidèle, l’un ou l’autre peut avoir du mal à s’attacher, l’un ou l’autre peut se caler dans le fauteuil et s’ouvrir une bière parce qu’il/elle est énervé(e)… Si les personnages ne sont pas, d’un côté, la girly par excellence qui se fait la manucure, regarde « Sex in the city » et ne parle que de fringues et, de l’autre, le beauf par excellence qui rote après sa bière et ne parle que de foot et de bagnoles, ça ne doit pas poser trop de problèmes mais, eh, on est d’accord : toutes les femmes et tous les hommes ne sont pas comme ça, hein ? Autant que je le sache, loin de là, même.

Après, bien sûr, il serait faux de dire que les sexes peuvent être interchangeables dans toutes les histoires, mais tout autant qu’il est faux de croire que les comportements et les relations homme/femme sont à ce point stéréotypés qu’ils ne peuvent en aucun cas être ne serait-ce qu’imaginés dans un sexe différent.

Petite illustration, pour ceux qui ne le sauraient pas : à l’origine, le rôle du Lt Ripley, dans Alien, avait été écrit pour un acteur masculin. C’est finalement Sigourney Weaver qui a eu le rôle, donc ça a changé la donne, mais ça n’a pas donné un personnage de mec joué par une femme, mais un personnage de femme qui roxxe ! Donc ça vaut le coup d’y réfléchir et, à l’heure actuelle avec les stéréotypes que l’on connait et qui restent assez forts, de ne pas oublier qu’un personnage revu dans un sexe qui n’est pas celui auquel on aurait pensé d’emblée peut devenir un personnage encore plus intéressant que prévu.

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14 réponses

  1. gossipcoco dit :

    Débat intéressant.

    Très personnellement, je suis globalement de ton avis. Le sexe biologique n’est pas l’unique facteur des réactions d’une personne mais aussi son milieu social, son éducation, le contexte historique dans lequel évolue le ou les personnages. Si le sexe biologique était le seul facteur et dictait quelque chose du genre femme = soumission, homme = domination, que seraient devenues les Simone de Beauvoir, Colette, Olympe de Gouge, Mme de Pompadour, Catherine de Médicis et tant d’autres mais surtout, auraient été connues du grand public de leur action, de leur écrit, de leur combat?

    Dans une oeuvre de fiction, là aussi, on retrouve des héroïnes qui sont loin de la traditionnelle image de la femme princesse qu’on doit sauver. Tu as cité Ripley mais on peut trouver des héroïnes de ce type dans des oeuvres contemporaines ou même dans des contextes passés. Je pense par exemple à Arthémise Iere, commandante en chef de l’armée perse (et personnage principale de 300 : rise of empire) et qui aurait fait exclamer Xerxes « Mes hommes sont devenus des femmes et les femmes sont devenus des hommes ». Plus récemment, on peut penser à la marquise de Merteuil dans les Liaisons dangereuses et à son pendant moderne, dans Sex Intentions. Dans les oeuvres écrites, il me vient à l’idée l’héroîne créée par Lauren K Hamilton, Anita Black.

    Bref, les exemples ne manquent pas.

    • Tiens, c’est marrant, je pensais à la marquise de Merteuil, aussi. ^^
      Très bons exemples ! Merci pour ton commentaire. Je m’interrogeais à propos du personnage de Katniss, dans « Hunger games », aussi. Je n’ai pas encore lu le roman mais j’ai entendu parler de ce personnage justement dans ce sens, aussi. Par contre, la Katniss de la saga romanesque serait à différencier de la Katniss des films qui, là, aurait justement été stéréotypée « fille » là où elle ne l’était pas spécialement dans le roman, apparemment.

      • gossipcoco dit :

        Alors, je n’ai ni lu ni vu Hunger Game, je ne peux pas trop me prononcer . (Oui la honte…)

        Sinon, j’y repense maintenant, mais même les mangas regorgent de filles badass : Kusanagi dans Ghost in the Shell, les filles de Claymore, certaines filles dans Naruto (Anko, la nana qui est avec Pain – j’ai zappé son nom)), dans Bleach ou One Piece, les filles dans Tengo Tenge ou Ikkitousen…

        Mais c’est amusant que tu en parles, je suis confrontée à un problème un peu similaire sur une de mes ori et qui me donne à reconsidérer certains traits de mon personnage principal.

        • On est deux à avoir la honte, alors. XD
          Oui, la littérature, le cinéma, la BD, les mangas, etc. regorgent de personnages féminins sortant totalement des stéréotypes liés à leur sexe. La conversation sur facebook portait sur la romance, donc j’étais restée sur ce genre mais, effectivement, que l’on soit dans le genre « romance » ou dans tout autre genre, on n’est pas obligé d’avoir des personnages collant à ces stéréotypes (et j’ai envie de dire que, même dans la vie, tout simplement, tout le monde ne colle pas forcément à ça).

  2. jeromedoe dit :

    Pour ma part, les particularismes que j’introduis ne servent qu’à conforter le lecteur. Ils lui permettent de se reposer sur un socle et de se fabriquer l’idée qu’il se veut bien se faire de tel ou tel personnage à partir des imposés sociétaux communément constatés ou de ce qu’il retrouve comme bouée dans son propre vécu.
    Alors en tant qu’auteur, j’estime pouvoir faire ce que je veux de mes personnages et leur donner les traits de caractères que je souhaite même s’ils sont à l’opposé que ce qu’attendent les gens. Au contraire, cela peut même participer au suspens et prendre le lecteur par surprise.

    • Ça dépend des histoires, en effet. Ça dépend aussi de la sensibilité des auteurs, pourquoi pas de leur volonté… Ça peut être très varié. 🙂
      Perso, j’avoue avoir du mal à écrire des personnages féminins « forts ». Ça me demande un effort à faire sur moi-même, primo parce que, comme tout le monde, je suis influencée par les représentations communes, deuxio parce que j’ai du mal, de toute façon, à écrire les personnages féminins parce que j’ai toujours peur de m’y projeter (et que je ne le veux pas), problème que je n’ai pas avec les persos masculins (ce qui, d’une certaine manière, est débile, mais ça ne se contrôle pas).
      Ceci-dit, je n’exclue pas d’écrire un jour un roman avec un personnage principal masculin dont je changerais derrière le sexe pour en faire une réécriture en prenant en compte ce changement. J’ai déjà fait l’exercice avec une nouvelle et c’était intéressant, et ça m’a fait évoluer par rapport à mon approche des personnages, en tout cas. Mais bon, après, c’est un problème personnel, hein ? Il y a des gens qui savent sans souci écrire des persos féminins forts, d’autres qui s’en fichent complètement… Chacun sa façon de considérer ce sujet. ^^

  3. Anne Rossi dit :

    Je suis globalement d’accord, à une réserve près: le monde dans lequel vivent les personnages n’est pas anodin. Pour moi qui écrit de l’historique, il est clair qu’à certaines époques, les femmes ne pouvaient pas accéder à certaines fonctions (voir n’étaient pas considérées comme des personnes…) donc oui, le sexe du personnage a quand même une grosse influence sur ce qui va être possible ou pas (tout comme d’ailleurs le fait d’avoir des penchants interdits par l’Eglise…)

    • Oui, je l’ai peut-être mal exprimé mais on est d’accord à ce sujet (l’exemple que je donnais avec la princesse et le chevalier allait dans ce sens, pour moi).
      Pour préciser peut-être mieux, je dirais qu’entre l’extrême disant qu’il est absolument impossible qu’un homme et qu’une femme puissent réagir/agir de la même manière et l’autre extrême disant que le sexe d’un personnage n’a jamais aucune influence sur son vécu, il y a une marge. Et que, selon les cas, tout est possible, à l’intérieur de cette marge. ^^

  4. Antha dit :

    Ce qui me fait dire qu’une femme et un homme ne sont pas (systématiquement) interchangeables c’est le fait qu’au delà du sexe, nous sommes le résultat d’une éducation, de stéréotypes induis par la société, l’école, la famille.

    Je suis féministe et profondément partisane de l’égalité, mais égalité n’est pas identité. Nous sommes égaux mais pas identique. Donc dire qu’un perso doux, aimant, rassurant, maternel (j’emplois ce mot à dessein) est forcément féminin, bien sûr que c’est du stéréotype. Mais nier qu’une femme réagit en prenant en compte l’entièreté de son éducation et de son passif, comme un homme le fait, c’est penser que nous sommes identiques. A une situation donnée, mon frère et moi ne réagissons pas de la même manière, pourtant nous avons eut la même éducation. Mais nos regard sont biaisés par notre évolution et ce que le monde voit et pense de nous, qui fait partis de notre construction.

    Je suis l’égale d’un homme, je ne suis pas un homme. A ce titre, je revendique le fait de réagir différemment. Un personnage contruit comme un homme qui devient une femme, ça peut fonctionner dans une histoire ou les émotions, les sentiments ne sont pas importants (SF, polar…) mais pas dans une histoire romantique, au risque de provoquer des réactions du genre « ce personnage est une vrai gonzesse/bonhomme ». Un exemple ? Sentiments scellés, BA Strecke. Son personnage William pourrait être une femme. Ca n’est pas mal, c’est simplement inadapté au roman.

    • Coucou, Antha !
      Merci pour le développement de ton avis. ^^
      Je comprends très bien ce que tu veux dire et, effectivement, on ne peut pas nier toute l’influence et de notre éducation, et de notre milieu, et des stéréotypes auxquels on est exposé, etc. Mais je pense tout de même qu’il n’y a pas forcément une manière « féminine » de réagir à une situation et une manière « masculine », faisant qu’un homme et une femme ne pourraient jamais y réagir de la même manière. Lorsque ton frère et toi ne réagissez pas de la même manière à une situation, peut-être qu’une autre femme pourrait réagir de la même manière que ton frère et qu’un autre homme pourrait réagir de la même manière que toi, par exemple.
      Sur le sujet de la relation amoureuse, je ne vois pas toujours les réactions des personnes m’entourant comme « masculines » ou « féminines » (en fait, je les vois même rarement ainsi) : ce sont des réactions qui leur sont personnelles, qui sont en rapport avec leur personnalité, leur vécu, leur éducation, etc., certes, mais qui ne sont pas « témoin » d’un sexe en particulier, ou pas toujours « témoin » de leur sexe, en tout cas : un homme et une femme peuvent réagir de la même manière à une même situation, comme ils peuvent réagir de manière différente, comme deux femmes peuvent réagir de manière différente, deux hommes aussi, etc. 🙂

      • Anne dit :

        Oui, mais là tu ne prends en compte que la personne et pas le contexte social. Pour prendre un exemple: je déteste le foot (désolée pour les fans) ; c’est aussi le cas de mon père. Sauf que, si nous annonçons tous les deux notre opinion, il est probable que nous n’allons pas nous attirer le même genre de réponse. Dans mon cas, il y a des chances pour qu’on me réponde « normal, t’es une fille » (ah ah) alors que dans le cas de mon père, on va le regarder bizarrement genre « ah ouais t’es pas très viril comme mec, en fait » (ça dépend aussi du milieu, mais bon, c’est l’idée générale). Donc on est d’accord que le sentiment de base (aimer le foot ou non) ne dépend pas du sexe, par contre les interactions qu’aura ton personnages avec les autres par rapport à ce sentiment vont partiellement dépendre de son sexe ou plutôt, de la construction sociale autour de celui-ci.

  5. C’est clair qu’un changement de sexe d’un personnage passe forcément par une réécriture : on ne peut pas se contenter de mettre « elle » à la place d' »il » et inversement. Et, effectivement, oui, il y a des cas où le contexte social va faire que les réactions vont changer, mais aussi d’autres qui ne vont voir aucun changement (ça dépend des cas).
    Pour donner un exemple, je viens de regarder un film dans lequel il y a une histoire d’amour et, du fait de ce débat, je me suis demandée si les personnages masculin et féminins seraient interchangeables et la réponse est : oui, totalement. Ce ne serait probablement pas le cas dans tous les films, mais là, c’est le cas et sans soucis, même au niveau de leur entourage, donc je ne dis pas que c’est toujours possible, mais je dis que ce n’est pas « toujours impossible », tout simplement. ^^

  6. alaiya dit :

    L’article est très intéressant et que je pense qu’au global, en effet, le changement de sexe des protagonistes ne devrait pas fondamentalement révolutionner les choses sur la globalité. De fait, l’exercice peut être assez instructif.

    Néanmoins, et si je puis me permettre, l’exercice permettrait véritablement de conclure si, en plus de changer le sexe des personnages, on changeait également le sexe de l’écrivain. Parce qu’en l’occurrence, on parle d’auteurs femmes qui se livrent à cette expérience. Et à mon sens, le « conditionnement sociétal » s’applique aussi (et surtout peut-être) aux auteurs en fin de compte. Alors, là où vraiment on pourrait en tirer quelque chose, ce serait de donner à un homme un texte écrit par une femme, et de lui demander de changer les genres physiques des personnages. Le laisser bosser. Et regarder le résultat.

    Je peux me tromper, mais j’ai tendance à penser que les choses pourraient être bien plus différentes in fine.

    • Ça pourrait faire l’objet d’un défi super intéressant ! 🙂
      Et faire l’inverse avec : prendre un texte écrit par un homme et demander à une femme de changer les sexes des personnages et voir ce que ça donne. ^^

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