Écrire à 4 mains
Par Valéry K. Baran et Hope Tiefenbrunner.
Pendant des années, on a eu envie d’écrire une histoire ensemble, mais on la repoussait : on ne savait pas comment s’y prendre, et on manquait d’éléments déclencheurs et… puis finalement on s’y est mises, et ça s’est fait avec une facilité stupéfiante.
Du coup, voici un retour sur notre expérience et, pour tous ceux intéressés par ce type d’écriture, les conseils qui vont avec puisque que, étant donné que ça s’est impeccablement déroulé pour nous, il serait dommage de ne pas en faire profiter les autres !
Écrire à quatre mains
(Comment faire ?)
Avec qui, d’abord ?
Alors, sans hésitation votre meilleure copine/votre meilleur copain en écriture : la personne qui est la plus proche de vous en cette matière.
On s’est connues toutes deux via l’écriture et, non seulement on s’entend terriblement bien, mais on se suit à ce sujet depuis le début, c’est à dire que : on a lu chacune absolument toutes les histoires écrites par l’autre, on se primo/bêta-lit tous nos textes depuis environ sept ans, on a suivi le même parcours avec le passage de la fanfiction à celui de l’édition, on écrit dans des genres communs et avec des approches très proches, on parle ensemble de tous nos projets…
Oh, bien sûr, après, on a nos particularités propres : Hope est plus rapide dans l’ensemble et une as des dialogues dynamiques et pleins d’humour, Val est une maniaque de la relecture et très à l’aise pour les scènes de sexe sensuelles et hot… Mais, dans l’ensemble, on reste quand même très proches. On est toutes deux des bosseuses, laisser une histoire écrite en plan sans lui donner la fin qu’elle mérite est inenvisageable pour chacune de nous, et on ne laissera jamais traîner non plus un travail qui plus est quand on sait que l’autre attend notre retour. Donc on avait vraiment de bonnes bases.
Après, bien évidemment, on est aussi conscientes que ce genre de situation est rare mais, s’il ne faut pas forcément avoir un tel vécu en commun, bien se connaître est un atout : avoir des points communs forts et avoir déjà fait l’expérience de travailler ensemble (la primo/bêta-lecture, pour ça, c’est top) de manière à être vraiment en confiance quant au travail de l’autre.
Qu’écrire ?
En ce qui nous concerne, ça a longtemps été le point de blocage : OK, on voulait écrire ensemble, mais quoi ? On avait plusieurs idées mais aucune que l’on mettait en avant par rapport aux autres et on était de toute façon déjà bien prises chacune dans nos projets respectifs. Et puis le déclic est finalement venu de l’un de nos éditeurs : on avait proposé deux textes jumeaux pour une parution en commun et cet éditeur, après avoir accepté cette soumission, nous a dit vouloir l’éditer en papier (en plus du numérique) mais que, pour ça, ce serait bien qu’une troisième histoire vienne compléter cette publication, et nous a suggéré d’en écrire une à quatre mains. Du coup, bingo, on avait déjà l’envie, et on s’est retrouvé avec le motif, le thème/genre/esprit (celui des deux textes initiaux), et plus ou moins la longueur aussi (en fait, ce dernier s’est retrouvé plus longs que les deux premiers mais c’est aussi bien). Et pas vraiment une deadline, puisque aucune ne nous a été demandée, mais l’idée qu’on n’allait pas attendre longtemps avant de s’y mettre, alors on s’y est lancées quasi tout de suite.
Du coup, à ce sujet, on dirait que la question « Qu’écrire ? » est finalement moins importante que l’envie de vivre cette aventure ensemble. Il faut le vouloir, décider d’une histoire (celle que l’on a choisie nous a botté énormément, mais pas plus que les autres qu’on avait imaginées : c’est vraiment l’élément déclencheur qui nous a poussées à y réfléchir plus sérieusement) et se lancer. Ça ne sert à rien de repousser cette envie en attente d’une idée particulière : l’envie doit primer, et après on cherche l’histoire.
Comment préparer l’avant-écriture ?
Ça a été très simple : Hope a eu l’idée, Val a dit « bingo ». L’idée restait assez floue pour Val mais pas grave elle faisait confiance à Hope, et elle n’était constituée, en gros, que de : un déroulement général (début, fin, sujet), en plus du genre/esprit/de la longueur que l’on avait déjà. Nous ne sommes ni l’une ni l’autre des adeptes du plan très détaillé, donc à ce niveau-là, partir avec ces seules bases nous convenait très bien. Et on a aussi parlé brièvement méthodologie en se disant qu’on écrirait chacune des séquences courtes, sans trop les retravailler, et qu’on ferait ensuite exactement la même chose que ce qu’on fait déjà en tant que bêta l’une de l’autre, mais en se permettant de modifier beaucoup plus le texte de l’autre. On savait déjà qu’on avait des styles suffisamment « mixables » pour ne pas avoir à séparer nos parties en gérant, par exemple, chacune un personnage et, pour avoir écrit sur les mêmes personnages en fanfiction pendant longtemps, nous savions aussi que nous pourrions nous accorder sur leur psychologie afin de pouvoir les écrire ensemble.
Pour nous, c’était suffisant, parce qu’on se connait bien, qu’on se fait totalement confiance, qu’on a vraiment l’habitude de bosser ensemble, déjà, et qu’on s’adapte très bien l’une à l’autre. Mais si on se connait moins, si on est moins en confiance, il peut être nécessaire d’être plus précis avant de se lancer. Définir une méthodologie de travail est indispensable, déjà. Après, le sujet, le niveau de détails de l’histoire avant de l’attaquer… ça dépend de la façon de travailler de chaque auteur et de la relation entre les deux auteurs.
Quand s’y mettre ?
MAINTENANT.
Non, vraiment, ça ne sert à rien d’attendre : si vous attendez d’avoir chacune ou chacun LE moment dans vos activités d’écriture où vous avez fini en même temps vos projets respectifs et n’avez plus rien de prévu derrière, laissez tomber, ça n’arrivera jamais. Pareil pour le moment où vous aurez soudain plein de temps libre… (vous savez, celui où, généralement, vous vous retrouvez en fait avec plein d’imprévus sur le dos ?). Bref, le bon moment, c’est maintenant. Vous jonglerez entre vos projets personnels et votre projet en commun et puis c’est tout. Et vous vous débrouillerez pour assurer !
Comment s’y prendre ?
Alors nous, on a procédé ainsi :
Hope a écrit les 2000 premiers mots et les a envoyés à Val en l’état de premier jet, quasi, c’est à dire à peine relu. Val a eu toute amplitude pour modifier, corriger, compléter, réécrire des passages de cette première partie, du coup, puis a enchaîné sur les 2000 mots suivants qu’elle a envoyés aussi en l’état de premier jet, etc. Parfois, on a même laissé des passages peu décrits à l’autre, genre « je te laisse faire cette description » ou « je te laisse étoffer ici », autant pour profiter des points forts de chacune que pour bien mélanger nos styles.
Élément indispensable : activer le suivi de modifications systématiquement, pour voir les corrections et modifications faites par chacune.
Et ça a été parfait !
Primo, on peut vraiment aller très vite avec ce système, parce qu’on ne se prend pas la tête sur l’état de ce qu’on envoie. C’est du premier jet écrit -> envoyé dans la foulée, et ça permet d’esquiver le syndrome du blocage.
Deuxio, ça laisse une amplitude très forte à l’autre pour corriger et donc permet de beaucoup relativiser, dès le début, sur ce que deviendra la partie qu’a écrite chacune : ce n’est pas comme un texte qu’on aura retravaillé au millimètre et donc sur lequel des changements peuvent être difficiles.
Tercio, ça permet un vrai mélange du style de chacune. Non seulement chacune de nos bêta-lectrices nous a dit n’avoir pu reconnaître qu’à de très rares moments qui avait écrit quoi (et elles nous bêta-lisent toutes deux depuis 5-6 ans, pourtant, donc connaissent impeccablement nos styles), mais même nous, en faisant les dernières relectures, nous nous sommes souvent trouvées incapables de resituer clairement ce qui avait été écrit par chacune tant tout s’était mélangé.
Après, à chacun de déterminer sa façon de faire mais celle-ci a été impeccable pour nous, en tout cas.
Comment procéder pour la phase de corrections ?
Elle s’est faite au fur et à mesure de l’écriture, puis nous avons encore fait plusieurs relectures et corrections chacune, en nous renvoyant le texte à chaque fois.
L’élément le plus difficile a, du coup, peut-être été de couper parce que, si faire des ajouts à ce qu’a écrit l’autre est aisé, couper (des phrases, des paragraphes…) est un peu plus délicat. On a donc mis ce point en avant lors des dernières relectures, en tant qu’objectif, à un moment donné, en partant sur l’idée de ne pas hésiter à élaguer (voire trancher carrément dans le lard) pour faciliter la fluidité du texte. Et, comme aucune de nous ne tient absolument à une phrase ou une formulation au point de ne pas pouvoir supporter de la voir disparaître, ça s’est fait aisément, aussi.
Le reste
Reste le sujet du devenir de l’œuvre publiée derrière, mais on en reparlera, du coup ! Parce que ça ne va pas tarder.
EDIT : Oeuvre sortie depuis aux éditions MxM Bookmark : Porn ? What Porn ?
En tout cas, ça a été génial sur tous les plans et une expérience que l’on recommencera avec plaisir (d’ailleurs… non, on ne dit rien pour l’instant). Finalement, le plus important, c’est de se lancer !
J’ai également testé, et beaucoup apprécié l’expérience.
Avec mon compagnon, qui est évidemment mon premier bêta-lecteur, tout comme je suis sa première bêta-lectrice.
Je crois que c’était lui qui avait l’idée de départ, mais je ne me souviens plus vraiment, car au final, nous avons pas mal discuté et mélangé nos idées. On a discuté de plusieurs trames narratives pour choisir celle qui nous semblait la mieux convenir, à tous les deux. Nous avons alterné les paragraphes, moi le point de vue de la mère, lui celui de l’ado (c’est une voix qu’il gère plutôt bien) et nous avons corrigé les passages de l’autre sans souci aussi (il s’agissait, comme pour vous, des premiers jets). Avec, également, des petites notes ou des espaces vides pour les répliques du personnage de l’autre.
Je ne sais pas encore ce qu’on va faire de ce texte, mais en tout cas, ce fut un vrai plaisir de travailler avec lui. 🙂
Super sympa d’écrire avec ton compagnon ! C’est une aventure géniale à partager. Et c’est marrant de voir qu’on a appliqué plus ou moins la même méthode (comme quoi, elle est bonne !). J’espère que vous donnerez une jolie vie à ce texte. 🙂