Point de vue interne/externe et narration à la première ou à la troisième personne du singulier

Par Valéry K. Baran.

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Petit article de technique littéraire !

Je fais cet article parce que je vois beaucoup de personnes se perdre là-dedans/avoir des idées fausses, et aussi parce qu’on me l’a gentiment demandé.

Avec la base numéro 1 : Non, on n’est pas obligé d’écrire à la première personne du singulier pour être au plus proche des personnages (si vous avez lu Harry Potter, vous devez déjà le savoir) mais on va le développer. 😉

Déjà,  il faut distinguer la focalisation (le point de.vue d’où on se place) et le pronom personnel employé, parce que ce sont deux choses différentes. Il y a trois manières d’aborder une histoire sur le plan de la focalisation, en fait : interne, externe et omnisciente, et six sur le plan du pronom utilisé (du « je » au « ils »), mais on retiendra les deux plus fréquents: « je » et « il ». Et l’un et l’autre (type de focalisation / pronom utilisé)  ne sont pas forcément superposables.

Allons-y pour les détails !



La focalisation externe

Ici, le pronom utilisé est forcément le « il » et, à aucun moment,  le narrateur n’est dans la tête des personnages : seuls les faits sont mentionnés.

On va prendre une phrase de base :

Monsieur Petitpois se mit à bégayer. Madame Painbeurré, boulangère de son état, le regarda aussitôt d’un air méprisant. A quelques kilomètres de là, la pluie s’était mise à tomber.

On peut voir que le narrateur relate les faits, y compris ce que ne savent pas les personnages (la pluie à des kilomètres), mais n’a pas accès à leurs pensées.

La focalisation interne

C’est celle qui permet d’être au plus proche du personnage principal car le narrateur a alors accès à ses sentiments et pensées, mais il a une connaissance limitée : il ne connaît que ce que le personnage connaît.

Là, on peut choisir d’écrire à la première ou à la troisième personne du singulier.

A la troisième personne du singulier

Même si le « il » est utilisé, le narrateur se place dans la tête d’un personnage en particulier. Tout est donc raconté par rapport à ce que voit, pense, ressent, imagine le personnage.

Retour sur l’exemple : point de vue de Monsieur Petitpois, dont le prénom sera Paul :

Paul se mit à bégayer, mal à l’aise. La boulangère le regarda aussitôt d’un air méprisant.

Différences ? D’une part, on utilise beaucoup moins les appellations qui mettent de la distance avec le personnage narrateur comme « Monsieur + nom de famille », mais c’est aussi valable pour « l’homme » et on utilisera d’ailleurs très rapidement « il » pour caractériser ce personnage narrateur, une fois le nom de celui-ci su par les lecteurs (s’il n’y a pas d’ambiguïté quant au personnage dont on parle, bien sûr). D’autre part, n’est décrit que ce que le personnage narrateur lui-même sait, donc pas de « elle le trouva impoli », par exemple,  pour parler de la boulangère : il ne peut pas le savoir. Et enfin, aucune information n’est donnée sur la pluie, à des kilomètres de là, que le narrateur ne peut pas non plus savoir.

Dans ce mode, on peut changer de point de vue. Donc, même exemple avec point de vue alterné :

Alors qu’il entrait dans la boulangerie, Paul glissa sur le paillasson, essaya de se rattraper au sapin de noël exposé dans l’entrée, envoya valser les boules au-dessus de la tête de la boulangère et étala de la boue en longues trainées sur le sol. Il se mit à bégayer, mal à l’aise.

Marie le regarda, éberluée. Elle le trouva stupide et impoli, probablement plus encore que tous ceux qui étaient entrés auparavant dans son commerce..

Lors d’un point de vue alterné, on marque le moment où le changement de point de vue se produit, généralement par un changement de paragraphe, chaque série de paragraphes étant écrite du point de vue de l’un des personnages (on n’écrit pas un paragraphe d’une ligne en changeant de point de vue à chaque fois, hein ?).

A la première personne du singulier

C’est la même chose, exactement, que le précédent, mais en utilisant le « je » à la place du « il ».

On reprend l’exemple : pour Monsieur Petitpois :

Je me mis à bégayer, mal à l’aise. La boulangère me regarda aussitôt d’un air méprisant.

Différence avec le point de vue interne à la troisième personne ? AUCUNE, si ce n’est le « je » à la place du « il » : c’est absolument tout. Donc pas de proximité plus importante avec les personnages en cas de « je »: c’est le fait d’écrire en focalisation interne qui induit cette proximité,  quel que soit le pronom choisi.



Dernière focalisation : la focalisation omnisciente

Là, le narrateur est omniscient : il connaît non seulement ce que ne peuvent pas connaître les personnages, mais aussi leurs pensées, leurs sentiments, leur avenir… Tout.

On reprend l’exemple :

Monsieur Petitpois se mit à bégayer, mal à l’aise. Madame Painbeurré, boulangère de son état, le trouva aussitôt stupide et impoli. A quelques kilomètres de là, la pluie s’était mise à tomber. Ils ne le savaient pas encore, mais ce moment marquait un instant clé de leur existence.

Bilan

  • Points de vue et narration à la première ou troisième personne sont deux choses différentes.
  • On peut être dans un point de vue interne, soit au plus proche des personnages, que l’on écrive à la première ou à la troisième personne. La différence n’est pas dans le « je » ou le « il » mais dans la maîtrise des points de vue (s’il y a un problème, c’est que c’est mal maîtrisé, tout simplement). Et si vous avez encore un doute, pensez à Harry Potter : les romans sont entièrement écrits à la troisième personne du singulier et on est on ne peut plus dans sa tête/proche du personnage de Harry,
  • Lorsqu’on écrit dans un point de vue interne, on est dans la tête d’un personnage et on raconte donc tout exactement en suivant ce que lui sait/voit/vit, donc on ne donne aucune information que le personnage ne peut pas savoir (y compris sur ce que pensent les autres personnages : ce ne peut être que de la supposition) et on évite aussi les appellations comme « l’homme aux cheveux rouges » ou « le plombier » alors que ce sont des personnages que le personnage narrateur connaît (vous appelez votre mec « l’homme aux cheveux rouges » et votre meilleur pote « le plombier », vous ? Eh bien votre personnage non plus).

Fin de l’abrégé ! Ceci étant bien un « abrégé », et donc ne prend pas en compte les cas particuliers (je sais que, dans Drive, on ne sait jamais le prénom du personnage qui est caractérisé par « le chauffeur », on peut aussi écrire au « tu », etc.).

Et merci beaucoup à Florence Cochet-Schlatter pour son apport !


Pour aller plus loin : Comment éviter de répéter les prénoms des personnages ?

 

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2 réponses

  1. gossipcoco dit :

    A reblogué ceci sur Le fourbi de Gossip Cocoet a ajouté:
    Excellent rappel pour l’écriture!

  1. 12 mai 2016

    […] K. Baran a écrit il y a quelques temps un bon article pour expliquer ces histoires de point de vue interne/externe. En gros, quand on écrit du point de vue interne, y compris à la troisième personne, il faut […]

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